Quem te viu, quem te vê

Here’s a text I wrote in French about Chico Buarque:

Puisqu’une application de streaming qui permet aux musiciens de vivre comme des nababs a fait savoir à chacun de ses utilisateurs de quoi ses écoutes de 2020 étaient composées, il est temps pour moi de parler de celui que j’ai le plus écouté cette année.

Avant cet automne, Chico Buarque faisait partie des (trop nombreux) musiciens dont j’aimais tout ce que j’avais entendu, mais n’avais jamais creusé méthodiquement l’œuvre, contrairement à Caetano Veloso, par exemple. Ce dernier semblait former un duo tropicaliste indépassable avec Gilberto Gil, qui éclipsait un peu Chico. Moins pionnier ? Moins électrique ? Mon verdict est pourtant sans appel : c’est un auteur-compositeur de génie, autant dans sa sensibilité que son intelligence.

Je crains que le compositeur de Rio souffre d’une image un peu lisse et clicheteuse liée à une sensualité brésilienne fantasmée. La faute au personnage de Chico de la troupe d’Edouard Baer ? À la pub Schweppes de la fin des années 1980 (parodiée par Les Inconnus) ? Au mème qui lui est associé ? En France, certaines de ses compositions sont célèbres (souvent sans que les auditeurs en connaissent le créateur). Car “Qui c’est celui-là” de Pierre Vassiliu, c’est Chico Buarque. “Tu verras” de Claude Nougaro, c’est Chico Buarque. “Portugal” de Georges Moustaki, c’est encore Chico Buarque. Et ce n’est ici que la partie émergée du pain de sucre.

Car quand on se penche sur les disques publiés entre 1966 et 1976, ce qui caractérise le travail du musicien est la constance dans le travail et la beauté des mélodies, des harmonies et des arrangements. Il y a très peu de morceaux anecdotiques, et c’est d’autant plus une prouesse au vu de la quantité produite.

L’intégrale (1966-1976)
Ma sélection (chronologique)

Chico Buarque de Hollanda, Vol. 1 (1966) : dès le premier titre, “A Banda” (chanté plus tard en français par Dalida et en allemand par France Gall), on perçoit la facilité (apparente ?) avec laquelle le compositeur imagine des mélodies qui semblent prendre des chemins agréablement acrobatiques pour toujours retomber sur leurs pieds. Le deuxième préfigure ce qui allait également être une constante pour les dix années suivantes : la finesse. Avec notamment la présence de flûte, d’accords complexes, de voix féminines, et la possibilité d’un basculement à tout moment vers une couleur menaçante entre deux instants lumineux. “Olê, Olá” est un exemple parlant du talent qui permet au musicien de dérouler sa suite harmonique toujours au service de la mélodie, avançant d’une allure aussi pernicieuse que surprenante et touchante. Les fondations sont posées.

Chico Buarque de Hollanda, Vol. 2 (1967) : les points forts du premier album se retrouvent dans ce deuxième, toujours très élégant, qui comporte ce qui est probablement ma chanson préférée de Chico Buarque : “Quem Te Viu, Quem Te Vê”. Les arrangements de cordes qui commencent à se faire entendre sur ce disque permettent aux morceaux d’atteindre une sorte de grâce sérieuse équilibrant le côté toujours un peu sautillant des sambas. “Realejo” est d’une douceur sans nom, faisant passer des changements d’accords audacieux comme une lettre à la poste grâce à une fluidité mélodique incroyable. “Morena Dos Olhos d’Água” peut également agrémenter vos soirées romantiques. Notons que “Noite Dos Mascarados” a été adaptée en français par Pierre Barouh.

Chico Buarque de Hollanda, Vol. 3 (1968) : petite baisse de forme, même si rien n’est désagréable. Tous les ingrédients sont là, mais il semble que la recette ait légèrement perdu en magie. Même “Roda-Viva”, composition exceptionnelle, n’est pas tant mise en valeur. J’y reviendrai, car Chico a eu la lucidité de la réenregistrer.

Na Itália (1969) : je ne m’attarderai pas sur cet album, que je ne considère pas comme un vrai disque de Chico Buarque. De manière incompréhensible, il consiste en des réarrangements grotesques de compositions existantes que le musicien interprète dans la langue de Dante.

Per Un Pugno Di Samba (1970) : l’alliance de deux génies, puisque le compositeur carioca travaille ici avec Ennio Morricone. Si le Brésilien chante ici encore en italien, le résultat musical est bien plus probant. En témoigne le très impressionnant premier titre, “Rotativa”, entouré d’une ambiance angoissante constituée d’un clavecin, de cordes et de cuivres. Toujours pas de nouvelle composition sur cet album, dont l’intérêt principal réside dans les arrangements du maestro. Je reste tout de même assez mécontent, car mon morceau préféré, devenu “Tu sei una di noi”, est massacré dans une orchestration à la fois niaise et bon marché.

Chico Buarque de Hollanda, No. 4 (1970) : Chico revient en grande forme. Les deux premières chansons font l’effet d’un crochet suivi d’un uppercut. “Essa Moça Tá Diferente” (la fameuse bande-son de la réclame pour un soda), c’est une mélodie hors catégorie, un air qui part réaliser à pied l’ascension du Corcovado pour se poser après seulement quelques secondes de manière naturelle dans le sable de Copacabana. Mais le chanteur sent qu’il a presque trop joué sur la corde de la sensualidade et dégaine alors les violons dramatiques sur “Não Fala de Maria”. Ces deux premiers morceaux révèlent l’étendue de sa maîtrise, aussi à l’aise dans l’efficacité de titres balnéaires de qualité que dans la ballade hiératique. Celle-ci rappelle d’ailleurs le travail du compositeur Heitor Villa-Lobos, qui avait mêlé musiques brésiliennes et tradition orchestrale européenne entre 1930 et 1945 dans ses Bachianas brasileiras : un certain type de métissage, peut-être plus sage que le tropicalisme qui suivrait. Le revers de la médaille est l’impression que Chico Buarque a tout donné en début d’album avec ces deux bombinettes, la suite étant un peu moins intéressante, mais jamais déplaisante (pour une ambiance mi-étherée mi-lascive, on pourra écouter “Samba E Amor”). En réalité, il semblerait que les extrémités du disque aient été soignées, puisque la pénultième chanson est un exemple d’accompagnement au piano suffisamment rare pour être signalé, et idéal pour un cocktail de début de soirée. Enfin, le dernier titre déploie une grande ambition à travers d’amples d’arrangements.

Construção (1971) : cet album (les études d’architecte commencées par le musicien trouveraient-elles une résonance dans son titre ?) est considéré par beaucoup comme son chef-d’œuvre. Bien moins léger que les précédents, le disque développe la potentialité sombre présente dès les débuts, et dont le contexte politique permet ici la pleine réalisation. Le sujet principal, c’est la dictature militaire en vigueur au Brésil : les terribles conditions de travail, par exemple, dans le morceau éponyme, considéré par l’édition nationale de Rolling Stone comme la meilleure chanson brésilienne de tous les temps, ou l’oppression et la censure dans “Cordão”. Musicalement, c’est une synthèse entre des éléments typiquement brésiliens et des arrangements orchestraux. “Desalento” (“découragement”) en est un excellent exemple, avec ce son de cuíca (tambour à friction) si caractéristique, lié à des cordes profondes, une flûte qui volette tel un oiseau en cage, et ces chœurs aujourd’hui indissociables de la música popular brasileira. Cette interprétation du refrain par un ensemble féminin et masculin trouve dans “Samba De Orly”, qui traite de l’exil, une illustration très marquante. On sent que le moral n’est pas au plus haut. La douceur du dernier titre, “Acalanto”, berceuse triste et une de mes chansons préférées de Chico Buarque, propose une lueur d’espoir.

Quando o Carnaval Chegar (1972) : cette B.O. de film n’est pas disponible sur la plateforme citée en introduction, mais la chanson qui m’intéresse le plus y figure heureusement. “Partido Alto” a donné à Pierre Vassiliu son plus grand succès. Et je n’arrive pas à comprendre comment un cerveau humain peut donner naissance à une telle composition, si admirablement sournoise voire comminatoire dans ses refrains et débonnaire dans ses couplets. Les paroles françaises traduisent bien ce sentiment d’étrangeté, jusque dans l’identité extraterrestre de “ce mec-là”. D’après moi, c’est le signe que le génie de Buarque appartient à un autre monde.

Caetano e Chico Juntos e ao Vivo (1972) : l’enregistrement d’un concert de Caetano Veloso et Chico Buarque, au retour d’exil du premier. Des biographies indiquent que, dans les années qui précédaient cet enregistrement, Veloso a critiqué Buarque pour son conservatisme musical. Cela peut se comprendre dans la mesure où le Carioca n’avait pas intégré d’élément extérieur, psychédélique ou même électrique dans ses créations, là où le Bahianais avait incorporé dès 1967 un dose du style anglo-américain de l’époque dans son esthétique cannibale, qui se développera dans le formidable tropicalisme, dont Chico Buarque semble être resté un peu à l’écart. Caetano Veloso a peut-être changé d’avis en écoutant l’album Construção, porte-voix de revendications émancipatrices (dans ses paroles, en tout cas) qui partageaient beaucoup avec les mouvements des droits civiques auxquels était associée une partie importante de la jeunesse musicale mondiale des années 60.

Calabar / Chico Canta (1973) : cet album sorti sous deux noms différents est la bande-son d’une pièce co-écrite par Chico Buarque. Le sujet de cette œuvre théâtrale est un épisode de la guerre coloniale qui opposait Néerlandais et Portugais, au travers d’un personnage ayant retourné sa veste en soutenant les premiers après avoir aidé les seconds. Esthétiquement, les digues ont rompu : le disque comprend synthétiseurs et guitares électriques. Son prologue est un instrumental très dynamique, tandis que “Fado Tropical” (une tentative pour cannibaliser l’ancien colonisateur ?) relève d’un classicisme lusitanien. L’adaptation réalisée en français par Georges Moustaki a modifié grandement la portée du texte. Le thème historique choisi pour cette pièce permettait de s’attaquer, encore une fois et de manière forcément détournée, à la dictature militaire brésilienne. Malheureusement pour ses auteurs, l’œuvre dramaturgique fut interdite, en particulier en raison de la mention d’une relation entre deux femmes, et surtout à cause du message invitant à se révolter contre l’oppresseur.

Sinal Fechado (1974) : en raison de la censure qui a frappé Calabar, Chico Buarque ne pouvait plus signer les chansons qu’il enregistrait. Ce disque est donc constitué de chansons composées et écrites par des amis (Caetano Veloso et Gilberto Gil, toujours eux mais excusez du peu, ainsi que les géants Tom Jobim et Vinícius de Moraes). Chico signe tout de même une chanson, sous pseudonyme (Julinho da Adelaide) : “Acorda Amor”.

Chico Buarque & Maria Bethânia ao Vivo (1975) : un concert enregistré avec la sœur de Caetano Veloso, chanteuse très populaire au Brésil, à qui son frère a d’ailleurs dédié un titre qui porte son nom (repris par Emma Broughton avec une participation de Maïa Barouh ). La musique populaire brésilienne serait-elle une grande famille, avec ses liens affectifs, ses brouilles et réconciliations ? Ce live comporte dix-huit titres parmi lesquels une dizaine a été composée par Chico lui-même, avec au sein d’eux, “Quem Te Viu, Quem Te Vê”, ma chanson préférée, comme par hasard. J’aime penser que son créateur lui voue une affection particulière. Mais l’interprétation à gorge déployée ne rend pas justice à la finesse de la version originale.

Meus Caros Amigos (1976) : Claude Nougaro a dû beaucoup apprécier ce disque, puisque l’adaptation de son premier titre lui a fourni un de ses plus grands succès. On a l’impression d’un retour de Chico Buarque au meilleur du style “classique” de ses premiers albums, en matière de mélodie et d’arrangements. Cordes, flûte, chœurs féminins et délicatesse sont au programme d’”A Noiva Da Cidade”. La disposition du musicien à imaginer des mélodies accrocheuses sans être banales pour autant apparaît toujours vivace dans “Passaredo”. Nous terminons par une note de légèreté avec l’ambiance musicale de “Meu Caro Amigo”, dont le texte est pourtant une critique de la dictature. Comme un condensé de l’œuvre du musicien carioca pendant cette décennie.  

Je dois m’arrêter ici, onze ans de productions d’un compositeur aussi créatif représentent déjà beaucoup. J’ai surtout abordé des aspects musicaux, textuels et amicaux de son travail, mais on pourrait aussi évoquer l’importance de son milieu familial : son père était historien et sociologue, sa mère pianiste. D’autre part, la famille a vécu en Italie, ce qui explique les liens que Chico Buarque a entretenus avec ce pays. Enfin, je ne peux pas terminer sans mentionner l’immense morceau “Cálice” (1978), qui s’attaque encore une fois aux abus de pouvoir, par un jeu de mots assez puissant. Ce sera peut-être pour une prochaine fois.

Minerviu

We are used to saying “no news is good news”, but honestly, this is rarely the case.

“No News Is Bad News”, a song off our Partitions LP, features its narrator’s ever-shifting emotions. Initially peaceful and happy, he becomes worried, even paranoid, before returning to a calmer state. Halfway through the song, with no news from his loved one, he imagines the worst case, and wrongly so. This back-and-forth is illustrated by an alternation between sunny shots of the northern Corsican coast (Cap Corse) and night shots of Paris, often captured from within the Parisian open-air metro. A new love can be as exciting as going on vacation to the Isle of Beauty, and its loss as depressing as returning to a grey Paris.

The images were filmed by Orouni and edited by Justine Emard. The melody from the song’s calmer part came to Orouni whilst watching a thriller in a movie theater. The mood of its central part was inspired by Ethiopian jazz scales. The lyrics and musical structure merge into the greater concept of Partitions, a record which represents the separation between reality and perception through text, and the dissociation between different parts of songs, stripped of their usual verse / chorus system.